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"Au temps pour moi" , cette expression utilisée à l’origine dans les exercices militaires annonçait de la part d’un soldat qu’il avait commis une erreur dans l’exécution de  la manœuvre et qu’il fallait reprendre "au temps" afin que l’action demandée soit finalement effectuée parfaitement.

 

Pour le crime ou le délit, prémédité ou non, une fois accompli, il n’y aura pas de retour en arrière, pas de recommencement, le ou la responsable sera puni d’une peine, d’un "temps" à accomplir derrière les barreaux.

Parenthèse dans sa vie, n’ayant plus à la "gagner", privé de son rôle social, ne pouvant plus faire la moindre action que l’homme libre exécute pour "passer le temps", aller au café, au cinéma, courir, regarder les passants dans la rue… le prisonnier ne peut plus trouver des diversions pour oublier sa condition mortelle d’être humain.

 

Il est oppressant sur le long terme de rester à "ne rien faire", même si ponctuellement la paresse du week-end ou des vacances permet à chacun de se ressourcer et de savourer ce moment de possible improductivité avant de retourner à sa vie active.

Mais si on nous confisquait cette possibilité d’être utile à la société et d’avoir de véritables loisirs qui nous ressourcent? Que faire s’il n’était plus nécessaire de se lever le matin pour aller travailler, pour s’occuper de ses enfants ou des autres en général ?

 

"La monstruosité de la prison ne tient pas, sauf cas extrême dans les pays de dictature ou du tiers-monde, à ses conditions matérielles, fussent-elles scandaleuses comme elles l’étaient en France avant les révoltes de 1974 ; elle tient au fait qu’elle met le prisonnier face à son propre néant" écrit Claude Lucas, ancien prisonnier longue peine,  en épilogue de son livre témoignage "Suerte".

 

 

Au temps pour moi est un spectacle sur la condition carcérale qui  offre au public un double champ de réflexion :

 

Le premier est celui bien sûr de cette condition en elle-même et de son utilité. Le prisonnier sortira t-il transformé de son incarcération, son "temps" sera t-il rédempteur ? Pourra t-il, après avoir accompli sa peine, reprendre "au temps", comme on remet les compteurs à zéro ?

 

Le second, par un effet miroir, est sur le besoin que nous avons de "faire quelque chose" de notre temps et la frustration qu’engendre parfois l’impossibilité d’accomplissement : nous qui ne sommes pas enfermés entre quatre murs et qui avons accès à toutes les possibilités que nous offre la société contemporaine, réussissons-nous à créer du sens ? Ne sommes-nous pas parfois démunis, prisonniers de nos propres barrières, réelles ou fantasmées ?

De plus, comme celle de Poq, un des trois personnages, notre volonté n’est-elle pas parfois anesthésiée par toutes les possibilités de distractions que nous offrent les écrans ? Ne nous abandonnons-nous pas à la passivité au lieu de travailler à trouver la place qui nous donnera la satisfaction d’être reconnus comme utiles à la société ? Ou tout simplement d’être heureux d’être qui nous sommes ?

 

 

Quelle place tient l’éducation dans la faculté que chacun a de se créer ses propres centres d’intérêts ? Dans sa capacité d’expérimenter la transformation en créant ainsi un devenir, de devenir l’artisan de chaque moment de sa vie, dans sa capacité d’agir ou d’être agi ?

 

 

"Au temps pour moi"  est une expression qui ne s’utilise plus dans son acception originale et est souvent orthographiée  aujourd’hui "Autant pour moi".

J’ai fait le choix de cette écriture car, grâce à un glissement orthographique, elle évoque aussi, à une lettre près, l’expression et la volonté entendue chez nombre de nos contemporains : "j’aimerais tellement avoir du temps pour moi".

 

Si j’ai, si nous avons du temps pour nous aujourd’hui, qu’allons-nous en faire ?

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